Mission n°2 – Débriefing
Zargabad – Lundi 26 septembre 2035 – 0515– Point d’insertion de l’équipe alpha.
Journal d’Anatoli, médecin au sein de la section Alpha.
« Bon, alors… Il a parlé ou quoi ? J'en ai ras le bol d'entendre ce type beugler ! Et comme par hasard, à chaque fois qu'il braille, c'est la lumière de l'ampoule électrique du bureau qui vacille… Au beau milieu de la nuit, ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable.
Je me trouve en salle de briefing avec les membres de la section Alpha, quelque part, au Takistan… Ah oui… J'oubliais… Je peux pas le dire, ça… Classé « top secret » CIA… On n'a pas officiellement le « droit » d'être là.
M'en fous complètement, en fait…
Depuis qu'on a ramené Fouzid, les gros durs de la CIA « l'interrogent »… Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils y mettent du coeur à l'ouvrage… Mais il est coriace, le bonhomme…
Tiens, maintenant qu'on en parle, c'est calme, tout d'un coup…
A ce moment-là, un des types de la CIA (« l'Agence », comme ils disent avec leurs grands airs… ) entre dans la salle, avec un sourire. Un grand gaillard avec une tête bardée de cicatrices.
- « Il a parlé » !
Tout est dit. Le type (je vais l'appeler « Agent X », ça fait mieux… ) a lâché un nom : Ibrahim Noussan.
Apparemment, l'Agence le connaît, ce lascar… Il dirige un groupuscule extrémiste en plein Takistan… Autant Fouzid n'avait pas l'air de savoir où se trouvait le « Dentiste », autant Noussan pourrait bien être au courant de sa localisation. C'est en tous cas ce que nous dit l'Agent X.
Là, ça devient intéressant.
En moins d'une heure, nous avons préparé un plan d'action visant à trouver Noussan et à l'exfiltrer. Si on y arrive, alors on a toutes les chances de trouver le Dentiste et Lazaridis…
L'Agent X nous informe que les Renseignements situent Noussan à Nûr, un trou au milieu de nulle part. Etonnant, dans ce pays...
Un hélico est en cours de préparation ; on a pour consigne d'aller à l'armurerie récupérer armes et matériel. Le capitaine Shrek nous donne RdV dans 30 minutes au pied de l'hélico.
Toute la section prend place une demi heure plus tard dans l'engin. Je jette un œil mauvais au pilote, qui me le rend bien d'ailleurs. Ce gars me doit 150 billets et il rechigne à payer… Vu qu'on s'ennuie à crever dans ce trou perdu, ben on passe le temps comme on peut. Et la belote basque est une activité lucrative par ici. Seulement ce gars, il a joué et perdu et maintenant, je veux mon pognon !
On en reparlera après la mission…
L'engin décolle en faisant un vacarme de tous les diables. En face de moi, les trois sergents du groupe Alpha étudient soigneusement la carte du secteur des opérations. Je regarde ma montre : 0445. Il fait sacrément noir dehors.
Le capitaine Shrek prend la parole : « Les gars ! On va nous larguer à 100m de Nûr. A priori, le bled est minuscule. Trois maisons. Mais il va falloir profiter de l'effet de surprise. Je veux trois groupes : les deux premiers vont prendre d'assaut le village et neutraliser rapidement toute résistance ; le troisième ira sur les hauteurs en repérage. On fait vite ! C'est la clé de la réussite de l'opération. Des questions » ?
Non, évidemment…
Le pilote annonce l'arrivée sur objectif dans trois minutes. Je sors mon arme et vérifie le chargeur : ok.
Le jour commence à pointer le bout de son nez…
La période qui précède l'insertion paraît longue… Tout le monde est silencieux et concentré… Lorsqu'arrive le moment de sortir, chacun fonce vers son objectif.
Le village est rapidement sécurisé (à peine quelques coups de feu)… Déjà, je suis en route avec le capitaine et notre tireur d'élite pour gravir la pente qui nous mènera vers le sommet de la colline située au sud du village.
Je me retourne : j'aperçois les copains qui fouillent le village, de fond en comble.
Nom d'un clébard galeux ! Elle est raide, cette pente… Mon sac à dos, rempli de produits médicaux pèse une tonne…
Devant moi, mes deux compères avancent vite...
Là haut, le spectacle est magnifique. Même si le coin est un vrai trou, le lever de soleil est juste majestueux… Et on a une vue sur toute la vallée devant nous…
A priori, l'observation attentive de la vallée ne donne aucun résultat. Pas âme qui vive. Mais ça ne veut rien dire : les locaux sont passés maitres dans l'art du camouflage…
Après quinze minutes passées là haut, on redescend pour rejoindre le reste du groupe. La fouille du village s'est révélée intéressante. Des documents ont été saisis, et l'exploitation rapide de ces derniers indique que Noussan est en effet à la tête d'un groupe armé assez important, et il se trouverait actuellement à Nagara, un bled à une heure de route d'ici.
Je regarde ma carte : pile en plein dans la vallée au sud de notre position.
La fouille a aussi permis de récupérer un quad et un camion. Ce dernier a besoin d'une roue et le moteur est endommagé. Le capitaine envoie un petit groupe à la recherche d'une roue, pendant que nous mettons la tête sous le capot du camion pour tenter de le remettre en état.
Une demi heure plus tard, nous voilà à bord du camion, équipé d'une nouvelle roue. Enfin, pas tous… Le capitaine a envoyé un groupe composé d'un sergent, deux fusiliers et du tireur d'élite en éclaireur, avec pour mission de nous avertir en cas de présence ennemie. Ce petit groupe est parti il y a maintenant 25 minutes.
Le camion démarre, et commence à rouler vers notre destination : Nagara.
Au bout d'un certain temps, le chauffeur annonce qu'on va manquer d'essence… La tuile… L'équipe de reco signale qu'elle vient de dépasser un petit bled où on pourrait éventuellement en trouver. Bonne nouvelle : je me vois pas faire le reste du trajet à pied, avec une seule gourde d'eau…
Effectivement, nous arrivons à l'entrée d'un petit village qui paraît bien tranquille. Devant nous, une station essence… Le miracle, quoi…
Tout le monde met pied à terre… Chacun se positionne pour couvrir le secteur. Le chauffeur commence à faire le plein.
Devant la boutique, un type sort… Je me dirige vers lui et le salue. Il me répond, et nous engageons la conversation. Il me dit que Nagara se trouve à un quart d'heure de route d'ici, mais qu'il n'y a rien là-bas, si ce n'est un petit marché près de la mosquée.
Un coup d'oeil à gauche m'apprend que le chauffeur a fait le plein. Je sors une liasse de billets et paye le type de la pompe.
Je remonte dans le camion ; tout le monde a déjà embarqué… Je salue le maitre des lieux, et le camion reprend sa route.
Très vite, la route commence à monter… Nous entrons dans une zone accidentée…
Mais nous ne rencontrons personne sur le chemin… C'est absolument désertique. Et la chaleur commence à cogner dur…
Le capitaine contacte par radio l'équipe de reco. Cette dernière est à deux kilomètres au devant de notre position… Les consignes sont simples : rendez-vous avec la reco à trois kilomètres de Nagara, sur la route, mais en contrebas du village, hors visuel du patelin.
Il vaut mieux être prudent. En effet, sur la carte, je vois un secteur qui pourrait être intéressant pour y laisser le véhicule.
La route monotone commence à faire des ravages… Plusieurs gars somnolent… Il est temps qu'on arrive...
Nous arrêtons le camion dans un creux de la route. Aussitôt, tout le monde descend pour se mettre en position de couvrir la zone. Je prends l'Ouest.
Derrière moi, les quatre hommes de la reco dévalent une pente et rejoignent la route. Ils descendent ensuite en courant vers le camion.
Le capitaine va à leur rencontre. Ils ont l'air content de nous retrouver.
Après s'être un peu rafraichie, l'équipe de reco fait sont rapport… Apparemment, RAS. Devant nous, de l'autre côté de la montée, se dresse le village de Nagara. La reco a repéré quelques bunkers et un BMP, mais ils étaient trop loin pour savoir s'ils étaient opérationnels ou non.
Le capitaine appelle ses sergents.
De ma position, je n'entends pas ce qu'il se dit, en bas. Mais ça a l'air de causer dur, en tous cas…
Dix minutes plus tard, le capitaine semble avoir fait ses choix : il donne les consignes aux chefs d'unités.
Un mouvement me fait tourner la tête : quatre camarades viennent d'ouvrir le feu sur un type qui détalait en courant à 100m de notre position… Le gars s'écroule, touché par une rafale. Heureusement, les silencieux étaient de sortie sur nos armes…
Je quitte ma position pour aller examiner le pauvre type : raide mort ! On ne saura jamais ce qu'il venait faire là. Le capitaine arrive, et fouille le corps… Il n'était pas armé… Rien d'intéressant. Il fait signe qu'on l'enterre rapidement.
Le plan d'approche est simple : on va marcher jusqu'au village, en suivant la route. Je reste en retrait avec le tireur d'élite et le capitaine.
L'ordre de marche est donné. C'est parti… Pour le meilleur ou pour le pire.
Arrivés en haut de la côte, nous apercevons Nagara et les environs du village. Ce dernier est situé au creux de la route. Autour, du sable… Encore du sable et de la poussière… Foutu bled !
Je stoppe près du panneau d'entrée du village avec le capitaine et le tireur.
Le village est traversé par la route (axe grosso modo Nord-Sud), et un chemin perpendiculaire est visible, au centre. A gauche, la mosquée et la place du marché. A droite, quelques habitations.
A première vue, rien de suspect vu d'ici…
Le capitaine regarde la carte sur laquelle la reco a marqué les positions des différents éléments. Vus d'ici, ils ont tous l'air HS.
Nous arrivons tous au village. Les habitants ont l'air surpris de nous voir, et on ressent une certaine hostilité… Le genre de situation qui peut déraper en moins de deux…
Deux camarades vont vers la mosquée pour prendre place dans le minaret. Une équipe se déploie autour de la place du marché, pendant que le reste du groupe se dirige vers le centre de la place.
Autour de nous, des fruits, des légumes, de la viande séchée, des épices… Et pas grand monde sur la place. Je n'aime pas ça du tout.
Je regarde le minaret : le camarade qui a pris position dedans indique qu'il n'y a rien à signaler.
Bien : il faut trouver ce Noussan, maintenant… Un type plutôt grand arrive vers nous, avec un grand sourire… Il se dirige vers le capitaine et le salue. Ce dernier lui répond.
Je m'approche aussi… Le capitaine lui demande s'il sait où se trouve Ibrahim Noussan… L'homme le regarde, et lui répond que ça dépend…
C'est pas vrai ! Ce guignol cherche à marchander…
Le capitaine lui demande ce qu'il veut… Le type se retourne vers Flash, et pointe ses lunettes de soleil.
Houla… ça va partir en cacahuète, là… Le Flash, il y tient à ses lunettes… Une paire de Rébagne qu'il a gagnée lors d'un tournoi de belote basque organisé contre les pilotes d'hélico de l'armée de l'air.
Je vois à son air qu'il refuse net. Le capitaine se retourne vers lui, et lui dit (sèchement) de lui refiler ses lunettes.
Flash est furax… En plus, l'homme esquisse un sourire… Mais la mission prime avant toute chose… Notre camarade le « Missionnaire » dégrafe la poche de son treillis pour sortir le précieux objet...
… Quand c'est à ce moment-là que le type braille quelque chose que je ne comprends pas… Un gros bruit… Et puis plus rien…
J'ouvre un œil… J'ai un mal de crâne pas possible… J'entends plus rien… Je suis étendu au sol, à côté de mon arme… Je perçois une agitation, mais c'est tout… Où est-ce qu'on est ?
Devant moi, je devine la silhouette d'un combattant, armé d'un AK-47… Le type fait feu, visiblement… Il n'a pas l'air de me voir…
L'instant suivant, il est par terre… J'ai vu une rafale le couper en deux…
Je sens qu'on me traine… Je ne vois rien… Je perçois des bruits plus nettement… Ma main gauche est en sang… Et j'ai aussi du sang sur mon treillis, sur la jambe gauche…
Je me retrouve assis dans une maison… Devant moi, quatre camarades blessés, au sol, dans les vap'… Je récupère vite… Le sergent Cepu me donne un peu d'eau… ça va mieux… Il me dit qu'on est tombé dans une embuscade… Le type du marché s'est fait exploser… On a eu pas mal de blessés, mais grâce à la réaction de la patrouille située à l'extérieur du marché, on a pu repousser un assaut violent et visiblement bien préparé.
Dehors, les coups de feu crépitent encore. Les combats ne sont pas terminés. L'ennemi est en repli, mais il assure des tirs de couverture qui nous empêchent d'agir efficacement.
A l'abri dans la maison, je commence à soigner mes camarades, après m'être bandé la jambe. Plus de peur que de mal… Mais il y a un blessé grave sur les quatre au sol… Il aura rapidement besoin de soins avancés…
Je sors de la maison, arme au poing… La situation semble maitrisée… Des corps jonchent le sol, témoins de la violence des combats…
Flash me ramène encore un blessé… Complètement dans les vap', le type… Je m'en occupe rapidement.
Le capitaine, un peu sonné après l'explosion, se rend compte que le type qui s'est fait vaporiser était probablement Ibrahim Noussan. C'est la tuile !
Comment va-t-on faire pour retrouver le Dentiste, sans Noussan ?
Il ordonne une fouille rapide des maisons… Celles-ci ont été désertées pendant les combats. Mais ça ne donne rien du tout.
Il faut l'admettre : sur ce coup-là, on s'est fait complètement avoir. Piégé. Comme des débutants. On est bon pour foutre le camp de ce trou, et regagner notre base…
Je sens que l'Agent X ne va pas être super heureux…
Le capitaine a envoyé un copain chercher le camion. Ce dernier arrive quelques minutes plus tard. On embarque tous, en silence… Avec cette impression désagréable de n'avoir pas réussi notre mission.
Ce contretemps risque de nous coûter cher.
Le véhicule démarre… Devant moi, Flash tire une tronche de cent pieds de long. Il me regarde et dit : « il m'a bousillé mes lunettes, ce c…ard » !
Je souris…
On quitte le village, et le chemin vers notre base nous semble bien long... ».